







La période « classique » de la musique classique
Dans la petite histoire de la musique classique, nous indiquions qu’il existe une période « classique », qui suit la période dite « baroque » et précède le romantisme du début du 19e siècle. Pour des raisons mnémotechniques, on peut dans un premier temps envisager cette période « classique » comme étant située dans la deuxième moitié du 18e siècle vers 1750-1800.
Sommaire
Introduction

Les deux compositeurs considérés généralement comme les plus représentatifs du style classique sont Mozart et Haydn, si bien que le classicisme en musique est presque synonyme de classicisme viennois. On reviendra plus loin sur les limites temporelles de la période classique.
Le classicisme désigne généralement une forme d’art caractérisée par une sobre perfection qui sert de modèle pour les siècles suivants, c’est bien évidemment un jugement qui n’a pas de valeur absolue et qui est formulé a posteriori. Pour certains, le classicisme musical s’étend à la période dite « baroque », laquelle a emprunté son nom à l’histoire de l’architecture, mais n’a en réalité rien de baroque. Les divisions opérées dans l’histoire de la musique ne sont pas toujours commodes ou pertinentes.
Cette époque dite classique du point de vue de l’histoire de la musique reflète l’évolution générale des sociétés européenne marquées par la démocratisation des sciences et des arts, le passage de flambeau de l’aristocratie à la bourgeoisie notamment au sein des Loges maçonniques, le culte de la raison et la recherche du naturel y compris dans le domaine religieux.
1750 est une date charnière, celle de la mort de Jean-Sébastien Bach qui représentait le sommet et la fin de l’âge « baroque ». Son style contrapuntique (juxtaposition de plusieurs mélodies) sévère était concurrencé depuis quelque temps déjà dans les pays germaniques par un style plus simple venu d’Italie, désigné par le vocable de « style galant ». Dans cette nouvelle manière de composer, la mélodie de la voix supérieure domine nettement et les voix inférieures ont un rôle secondaire; elles peuvent même se réduire à un bariolage harmonique, comme dans les sonates de Domenico Alberti ( 1710 -1740 ). Mozart utilisera plus tard ce procédé, dit des « basses d’Alberti« , par exemple dans sa célèbre sonate K. 545 pour les débutants :
On retrouve le même procédé dans cette très jolie sonate Sonate n° 5 en do majeur de Baldassare Galuppi (1706-1785):
L’évolution du goût musical est bien résumée par le hambourgeois Johann Matheson (1681-1764) :
« L’oreille tire souvent plus de satisfaction d’une voix unique, bien ordonnée, développant une mélodie clairement ciselée dans toute sa liberté naturelle, que de vingt-quatre parties qui, à seule fin de participer à cette mélodie, la fragmentent au point de la rendre incompréhensible »
On voit que l’une des tendances de la musique classique «classique» est la simplicité, voire la simplification, même si elle emploie heureusement des procédés d’écriture qui ne se résument pas aux basses d’Alberti.
En Allemagne Georg Philip Telemann (1681-1767) puis les fils de jean-Sébastien Bach joueront un rôle important dans la transition vers l’esthétique classique.
En France on recherchera plus tard une évolution vers plus de naturel sous l’influence directe de l’Opéra italien.
La période classique est caractérisée par la prédominance de trois genres, la symphonie, la sonate pour clavier, le quatuor à cordes ainsi que d’une forme, la forme sonate
La symphonie classique
La symphonie désigne de nos jours une œuvre purement instrumentale de grande ampleur et en plusieurs parties qui exploite une grande variété de timbres et donc d’instruments.
La sinfonia ou symphonie est née en Italie à l’époque baroque, elle s’oppose au concerto, qui met un valeur un ou plusieurs solistes alors que dans la symphonie aucun instrument ne prédomine. Au départ, les sinfonie désignent des pièces introductives jouées avant des cantates d’églises ou des opéras -les fameuses ouverture à l’italienne en 3 parties-, puis elles acquièrent une vie autonome pour devenir les symphonie telles que nous les connaissons.
Les sinfonie baroques ne présentent pas la variété orchestrale de l’époque classique, mais les compositeurs italiens comme Vivaldi (1678-1741) et Sammartini (1698-1755) ont déjà quelque chose de pré-classique de par la simplicité des procédés employés et le caractère « solaire » de leurs compositions. On reviendra plus tard sur l’esthétique classique.
Alors que les sinfonie tardives de Sammartini comportent des instruments à vent, les premières ne comportent que des cordes et une basse continue, comme par exemple la sinfonia RV 146 de Vivaldi :
Dans le monde germanique, la transition vers la symphonie classique est assurée par ce que les historiens de la musique appellent l’école de Mannheim . Les symphonies tardives de Johan Stamitz (1717-1757) comportent flûte, hautbois et parfois trompette ou même clarinette, instrument que Mozart découvrira bien plus tard en 1778, toujours à Mannheim, et pour laquelle il écrira plusieurs chefs-d’œuvre.
Il faut mentionner également l’un des fils de Jean-Sébastien Bach : Johan-Christian Bach (1735-1782). Son illustre père étant décédé alors qu’il n’était qu’adolescent, Jean-Chrétien compléta en partie son éducation musicale en Italie où il découvrit Sammartini. Il composa plusieurs dizaines de symphonies et eut une grande influence sur Mozart.

Même s’il n’est pas le père de la symphonie, le viennois Joseph Haydn (1732-1809) représente une sorte de patriarche pour les compositeurs ultérieurs en raison de l’ampleur et de la qualité de sa production : pas moins de 106 symphonies écrites entre 1759 et 1795. On écoutera la dernière symphonie inscrite au catalogue, n°104 « Londres » (1795) :
Les symphonies de l’époque pré-classique et du début du classique sont inspirées par l’Italie et sont donc le plus souvent à 3 mouvements, vif-lent-vif, puis, vers 1760, est introduit le menuet issu de la suite pour porter le nombre de mouvements à 4. Mais ce qui va opérer la plus grande coupure avec la période baroque est l’adoption de la forme sonate (voir plus loin), vers 1770, qui va être utilisée fréquemment dans le premier mouvement des symphonies.

Né en 1734 en Wallonie dans une enclave française, formé en Belgique et ayant exercé son activité de musicien essentiellement à Paris, François-Joseph Gossé dit Gossec est un musicien un peu oublié. Auteur de 50 symphonies dont les premières, déjà en quatre mouvement, précèdent celles de Haydn, il officia au concert de La Popelinière qui importa les habitudes de Manheim en terme d’orchestration, participa à la fondation du Conservatoire de Paris, fut directeur du Concert spirituel et musicien officiel de la Révolution française ! Il fonda également le Concert des amateurs en 1770 afin de disposer d’un orchestre étoffé avec flûtes, bassons, clarinettes et trompettes pour jouer ses œuvres comme la Symphonie en ré. Les Concerts sont des institutions clés dans le processus de démocratisation des arts qui s’opère durant l’époque classique.
La sonate pour clavier à l’époque classique
La sonate pour clavier n’est pas une invention de l’époque classique, mais en raison d’une demande des éditeurs et donc des musiciens amateurs, elle va prendre une grande place dans le catalogue des musiciens classiques, tout comme la musique de chambre, pour les mêmes raisons. C’est à cette période que se développe le salon musical et l’apprentissage de la musique se développe dans la bourgeoisie. Mozart disait de l’Autriche en 1781 « c’est sûrement le pays du piano« . A ce propos ne pas oublier que « notre » Ignaz Pleyel ,qui fonda une célèbre fabrique de piano à Paris en 1807, était autrichien et élève de Haydn…
Au cours du 18e siècle, le terme de sonate va cesser de désigner des compositions multi-instrumentales et se réduire à la sonate pour clavier, qui va basculer progressivement du clavecin vers le piano-forte.
Chez Mozart et Haydn les sonates sont le plus souvent en 3 parties; on retrouve l’alternance habituelle vif, lent, vif héritée de l’Italie comme pour les premières symphonies. Le premier mouvement sera souvent de forme sonate (voir plus loin), et le dernier peut être un rondo ou un menuet. Mais il y a beaucoup d’exception à cet ordonnancement, surtout chez Haydn.
La Sonate en ré majeur K.284 «Dürnitz» de Mozart échappe à la structure habituelle, puisque le deuxième mouvement est un rondeau et le troisième basé sur le principe du thème et des variations.
Beethoven écrira de nombreuses sonates en intercalant un troisième mouvement avant le rondo, sur le modèle des symphonies de Haydn et Mozart, mais ce troisième mouvement est un scherzo et non un menuet.
La forme sonate
Il faut bien distinguer le genre (symphonie, opéra, concerto, sonate pour clavier…) de la forme qui donne sa structure à une œuvre où à une partie d’une œuvre. On peut mentionner la forme lied en deux parties : AABB ou encore la forme rondeau avec un refrain et plusieurs couplets : ABACADAE etc… Rien n’interdit de composer un rondeau isolé pour le clavecin, ou d’utiliser cette forme pour un mouvement de symphonie, un air d’opéra etc…
Si l’on parle de forme sonate c’est que cette forme a été très utilisée dans les sonates pour clavier de l’époque classique. Il s’agit d’un procédé de développement permettant d’exploiter un thème principal et des thèmes secondaires. La forme sonate comporte trois parties: l’exposition qui présente les thèmes, le développement qui emmène l’auditeur dans des tonalité éloignées, la réexposition qui reprend de manière simplifiée l’exposition et une conclusion supplémentaire éventuelle : la coda. Tout un tas de conventions vont se mettre en place, qui vont faire de la forme sonate une forme puissante, mais pouvant scléroser l’imagination des compositeurs.
La forme sonate est présente en général dans le premier mouvement des symphonies et des sonates pour clavier de l’époque classique et au-delà. Vous vous souvenez peut-être que nous en avions parlé à propos du quintette en fa mineur op.34 de Brahms (1864), c’est dire si cette forme sonate a eu la vie longue.
La musique de chambre de l’époque classique
La période classique met fin au règne de la basse continue. La basse n’est plus chiffrée et improvisée, mais doit être écrite explicitement, d’où a possibilité de jouer des pièces à 3 ou 4 voix avec n’importe quel instrument a vent ou à corde. Ce type de pièce est appelé, à l’époque, divertimento. Les termes de trio, quatuor etc… viendront plus tard. On considère que Haydn, même s’il eut des prédécesseur, est le véritable père du quatuor à cordes (il en composa 77 !), genre qui diffère des formations de cordes antérieure par l’ajout d’un alto aux deux violons, le violoncelle jouant la partie de basse.
Le quatuor K.465 de Mozart fait partie des quatuors dédiés à Haydn, composés entre 1782 et 1785 et inspirés par l’opus 33 de ce dernier. Fruits d’un « long et pénible travail » ils sont à mille lieux des facilité d’écriture de ses sonates. Le premier mouvement de ce quatuor K.465, dit « quatuor des dissonances« , comporte un introduction qui a dû chatouiller plus d’une oreille à l’époque…

Puisqu’on a insisté sur l’influence de l’Italie baroque sur la musique instrumentale il ne faut pas oublier de mentionner un compositeur classique italien, Luigi Boccherini (1743-1805, le plus prolifique avec Haydn et Mozart, auteur d’une très importante œuvre de musique de chambre (dont 91 quatuors et 113 quintettes à cordes ! ). Tout le monde connaît le minuetto (menuet) de son quintette 11 n°5 (1771), qu’on écoutera ici dans une transcription pour guitares :
Le lied classique
La deuxième moitié du 18e siècle voit les grands compositeurs que sont Mozart et Haydn s’approprier la chanson populaire pour donner naissance à un genre qui s’épanouira chez les romantiques : le Lied. On écoutera un lied de caractère pré-romantique, Das Lied der Trennung (la chanson de la séparation), K.519 de Mozart, par Julie Fuchs:
La musique sacrée
La musique sacrée voit le déclin irrémédiable de la cantate dont on observe une survivance dans certaines messes monumentale dites messes à numéro comme la grande messe en ut mineur de Mozart dont le Gloria comporte 8 sections. En Autriche les réformes de Joseph II vont assécher la musique d’église pendant 15 ans, de 1780 à 1795.
Alors qu’en France l’oratorio baroque survit sous la forme de peintures violentes inspirées de l’ancien testament, il évolue vers plus de naturel en Autriche. Dans le merveilleux oratorio de Joseph Haydn, die Schöpfung ( La création ) (1798), celui-ci renoue avec la musique descriptive du Vivaldi des 4 saisons. Les passages chorals sont exceptionnels comme dans Der Herr ist groß in seiner Macht :
L’opéra à l’époque classique
On assiste en Autriche et en Italie au triomphe d’un genre né à l’époque baroque vers 1720 : l’opera buffa, inspiré par la commedia dell’Arte et ses personnages stéréotypés, qui se distingue de l’operia seria, par ses sujets plus légers et ses scènes chorales. Mozart adopta cette tradition italienne pour plusieurs opéra dont Le Nozze di Figaro (les Noces de Figaro) dont on entendra un extrait, le délicieux air de Chérubin : Voi che sapete che cosa e amor (Vous qui savez ce qu’est ‘amour)
En France, la lutte entre l’opéra-bouffe et l’opéra baroque se matérialise dans la fameuse querelle des Bouffons provoquée par la représentation de la Serva Padrona de Pergolèse. Jean Jacques Rousseau, dans l’Encyclopédie et dans son propre dictionnaire de la musique prendra nettement parti pour la musique italienne contre la musique française:
« N’allez donc pas prendre le baroque pour l’expressif, ni la dureté pour l’énergie ; ni donner un tableau hideux des passions que vous voulez rendre, ni faire en un mot comme à l’opéra français, où le ton passionné ressemble aux cris de la colique, bien plus qu’aux transports de l’amour »
… mais aussi contre la musique allemande si l’on en croit les stéréotypes de l’époque (cf plus bas le point de vue de Grétry):
« De toutes les harmonies il n’y en a point d’aussi agréable que le chant à l’unisson et s’il nous faut des accords c’est que nous avons le goût dépravé »

C’est un autre wallon, né à liège, André-Ernest-Modeste Grétry (1741-1813) qui implanta durablement le goût italien à Paris. Auteur d’ une quarantaine d’opéras-comique sur le modèle des opéras-bouffes italiens, on reconnaît généralement ses facilités mélodiques tout en émettant des réserves sur ses talents de compositeurs. ses conceptions sur la musique et sur le rôle de la France sont explicités dans ses Mémoires :
« Tel est l’empire de la nature; l’Italie fournit cent mélodistes et un harmoniste: l’Allemagne tout le contraire. Tous les génies Italiens n’on pu produire une ouverture telle que celle d’Iphigénie en Aulide [Note : de Gluck]. Toute la force du génie allemand ne nous présente pas un air pathétique aussi délectable que ceux de Sacchini.) La France offrant un tempérament mixte, entre l’Italie et l’Allemagne, semble devoir un jour produire les meilleurs musiciens (…) Ils auront, il est vrai tout emprunté de leurs voisins, ils ne pourront prétendre au titre de créateurs; mais le pays auquel la nature accorde le droit de tout perfectionner peut être fier de son partage. »
L’ouverture de son Iphigénie en Aulide renoue avec l’ouverture à la française et son premier mouvement majestueux. Elle connut un grand succès au concert grâce notamment à l’admiration que lui portait Wagner qui réarrangea l’œuvre pour l’adapter à l’orchestre moderne. la voici :
Limites temporelles et esthétique de la période classique
La musique classique «classique» est-elle définie par des formes (forme-sonate), la prédominance de certains genres (symphonies, quatuors) ou bien par un ethos?
Prenons un exemple concret : Beethoven (1770-1827), qui reprend les formes héritées de Mozart et Haydn, est-il un classique ? Doit-on faire une distinction absolue entre le jeune Beethoven des premières sonates et celui de la 9ème symphonie ?
Question bien difficile. Si l’on se limite à la forme, même Brahms est classique… Il n’y a pas de réponse évidente car la période « classique » n’est pas une idée platonicienne, mais un vocable qui peut désigner des réalités différentes Les musicologues germaniques diront que la période classique est celle des trois grands « viennois » Haydn, Mozart et Beethoven et qu’elle s’achève à la mort de celui-ci en 1827. On peut aussi rejeter cette façon de voir et considérer que Beethoven possède une sensibilité révolutionnaire ou pré-romantique exacerbée et qu’il s’éloigne de la tempérance des classique. Pour notre part nous préférons situer la fin de l’époque classique à la mort de Haydn, en 1809, même s’il s’agit d’un choix arbitraire.
Les compositeurs subissent l’influence de leur époque ainsi que de celles qui les ont précédés et il est dommage de leur attribuer des étiquettes uniques. Outre le fait qu’il n’y a pas de définition parfaite pour désigner les périodes de l’histoire de la musique, certaines esthétiques peuvent perdurer; il y a chevauchement plutôt que coupure nette entre ces différentes périodes. Le baroque finissant (vers 1730-1750) se superpose à une période préclassique (Vorklassik), laquelle n’a pas de limite bien définie avec la période du classique précoce (Frühklassik) qui court jusque vers 1770-80.
1760 et 1810 sont les limites arbitraires que nous avons adoptées sur ce site pour définir la période classique; elles forment un bloc commode de 50 ans facile à retenir et un peu plus proche de la réalité que la division 1750-1800.
Il faut souligner que ces périodes ne sont pas homogènes : certains mouvements peuvent naître qui s’opposent au courant dominant, comme par exemple l’Empfindsamkeit qui va s’opposer au rationalisme des « lumières » et auquel on rattache, d’un point de vue musical, certains fils de J-S Bach (voir l’article consacré au concerto pour violoncelle de CPE Bach.
Pour en revenir au classicisme viennois de la période centrale, celui des Haydn et Mozart de la maturité, elle est tout à fait reconnaissable à l’oreille. Outre les aspects formels déjà évoqués ainsi que certains tics harmoniques, elle se caractérise par un caractère propre qui offre dans l’ensemble un visage assez serein. La musique de l’époque classique semble participer d’une civilisation assez sure d’elle même, optimiste, bourgeoise et policée, qui puise moins son inspiration dans l’Allemagne luthérienne que dans la radieuse Italie catholique. Le sourire est de rigueur et si le deuxième -parfois le premier- mouvement d’une symphonie, d’un quatuor, laisse parfois entrevoir les béances de l’âme humaine, les mouvements conclusifs – souvent moins inspirés- sont toujours empreints d’une gaîté un peu forcée, comme si après avoir entrevu le tragique de l’existence il fallait absolument redescendre sur terre et se frotter la panse en gambadant. Finalement ces viennois inondés du soleil de l’Italie ont su, à leur manière, exprimer parfaitement la dualité de l’âme allemande.
Découvrir quelques œuvres de la période classique







