Couverture des leçons de Ténèbres de Couperin

Couperin – Leçons de Ténèbres

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François Couperin (1668-1733). Trois leçons de ténèbres à 1 et 2 voix pour le Mercredi Saint

Sommaire : présentation, version choisie, texte latin et français

« Je composai il y a quelques années trois Leçons de Ténèbres pour le Vendredi Saint, à la prière des Dames religieuses de L…, où elles furent chantées avec succès. Cela m’a déterminé depuis quelques mois à composer celles du Mercredi et du Jeudi. Cependant, je ne donne à présent que les trois du premier jour, n’ayant pas assez de temps d’ici au Carême pour faire graver les six autres. Les premières et secondes leçons de chaque jour seront toujours à une voix, et les troisièmes à deux ».

Avertissement
Les « Dames religieuses » que mentionne Couperin appartiennent à l’ordre des clarisses ou ordre des Pauvres Dames (un ordre franciscain) de l’abbaye de Longchamps. A l’origine, l’office des Ténèbres se déroulait la nuit (entre minuit et le lever du soleil) des jeudi, vendredi et samedi pendant la semaine Sainte (qui précède Pâques) mais comme l’abbaye était ouverte au public, on a pris l’habitude de donner les Leçons de Ténèbres non pas avant le lever du jour, mais l’après midi des mercredi, jeudi et vendredi.

Extrait de la 3e leçon à deux voix :

Des trois recueils de Leçons de Ténèbres de Couperin, seul celui du mercredi est parvenu jusqu’à nous, il a été composé vers 1715. Les Leçons de Ténèbres étaient particulièrement populaires dans la seconde moitié du XVIIe siècle (on pense notamment à Marc-Antoine Charpentier, qui composa au moins trente leçons de Ténèbres, dont seules neuf nous sont connues), siècle profondément religieux et marqué par le jansénisme.

Les trois Leçons ne sont qu’un élément de chaque office des Ténèbres qui comprend la lecture des psaumes, les antiennes, les repons aux leçons etc. Ces trois offices centrés sur la souffrance et la mort du Christ, sont donc marqués par la douleur et la déploration.

Pour le premier office, le texte des Leçons provient de la première Lamentation « de Jérémie », qui déplore destruction de Jérusalem par les babyloniens

Le livre des Lamentations est classé dans la Bible chrétienne, dans la section consacrée aux prophètes et est placé à la suite du livre de Jérémie. La tradition chrétienne a attribué les Lamentations à Jérémie, mais les exégètes modernes considèrent que les lamentations ont été écrites par un auteur différent, en tout cas à la suite de la conquête du royaume de Juda par Nabuchodonosor, qui allait aboutir à la destruction de Jérusalem et de son temple, en -587.

Dans le troisième livre, l’auteur déplore les persécutions dont il est la victime tout en conservant sa foi en Yavhé. Les chrétiens y ont vu une préfiguration des souffrances de Jésus-Christ.

Couperin est très à l’aise dans ce genre un peu archaïque au début du 18e siècle ; dans ses Leçons cohabitent austérité (peut-être la queue de comète du jansénisme ?) et ferveur religieuse ; déploration et douceur, voire sensualité italianisante.

Les deux premières leçons sont à une voix, et la troisième à deux voix. Chaque verset débute par une vocalise sur une lettre hébraïque ; celle à deux voix sur la lettre « jod » qui ouvre la troisième Leçon est certainement l’un des plus beaux passages de la musique sacrée française.

A la recherche de la meilleure version des Leçons de Ténèbre de Couperin

Si les pièces sont notées « sur la clef de dessus », c’est à dire pour voix de soprano, Couperin précise que « toutes autres espèces de voix pourront les chanter ». La plupart des versions enregistrées comportent donc des voix de femme, mais il y a quelques exceptions, notamment la version de René Jacob et celle d’Alfred Deller pour haute-contre.

Comme cela a été dit plus haut, les Leçons s’intègrent à un office, qui était souvent raccourci lorsque le public était composé de laïcs appartenant à la bonne société. La plupart des enregistrements ne comportent que les Leçons.

Nous avons retenu deux versions :

François Couperin leçons de Ténèbres pour le Mercredy Saint Olivier Vernet LigiazDigital
François Couperin
leçons de Ténèbres pour le Mercredy Saint
Olivier Vernet
Ligia Digital

1.Tout d’abord celle d’Olivier Vernet, chez Ligia avec Catherine Greuillet et Isabelle Desrochers. Voir sur Amazon.fr. Parmi les version pour deux soprano, c’est celle qui nous a le plus séduit, par sa musicalité presque profane et ses lignes mélodiques très tendues qui se marient bien avec l’acoustique de l’église où elles sont été enregistrées. Les leçons alternent avec des extraits de la deuxième suite en La de Couperin pour viole de gambe, où il apporte également une touche finale et personnelle à une certaine tradition française. Cet album figure dans la discothèque idéale 4e partie.

Leçons de Ténèbres Alfred Deller Harmonia Mundi
Couperin
Leçons de Ténèbres
Alfred Deller
Harmonia Mundi

2. Autre version choisie : celle du haute-contre Alfred Deller. Voir sur Amazon.fr
La voix n’est plus aussi assurée que par le passé, le diapason est plus bas que dans les versions pour soprano, le rythme souvent plus lent que dans versions plus récentes, cependant le recueillement et l’alchimie entre les participants produisent l’émotion que l’on recherche parfois dans des versions plus historiquement correctes ou réalisées par des interprètes en pleine possession de leurs moyens.

Notons que l’on trouve une belle version de la troisième leçon dans la bande originale du film « Tous les matins du monde », enregistrée par Jordi Savall.

Texte des lamentations de Jérémie des Leçons de Ténèbres pour le Mercredi Saint

Le texte latin provient du premier chapitre des Lamentations de Jérémie de la Vulgate Clémentine. La traduction en regard est celle de Louis Segond.

Chaque leçon se termine par « Jerusalem, Jerusalem, convertere ad Dominum Deum tuum » Jerusalem, converti-toi au Seigneur ton Dieu, qui ne fait pas partie des lamentations mais est emprunté à Osée.

Première leçon

ALEPH. Quomodo sedet sola civitas plena populo! Facta est quasi vidua domina gentium; princeps provinciarum facta est sub tributo.

BETH. Plorans ploravit in nocte, et lacrimae ejus in maxillis ejus: non est qui consoletur eam, et omnibus caris ejus; omnes amici ejus spreverunt eam, et facti sunt ei inimici.

GHIMEL. Migravit Judas propter afflictionem, et multitudinem servitutis; habitavit inter gentes, nec invenit requiem: omnes persecutores ejus apprehenderunt eam inter angustias.

DALETH. Viae Sion lugent, eo quod non sint qui veniant ad solemnitatem: omnes portae ejus destructae, sacerdotes ejus gementes; virgines ejus squalidae, et ipsa oppressa amaritudine.

HE. Facti sunt hostes ejus in capite; inimici ejus locupletati sunt: quia Dominus locutus est super eam propter multitudinem iniquitatum ejus. Parvuli ejus ducti sunt in captivitatem ante faciem tribulantis.

ALEPH Eh quoi! elle est assise solitaire, cette ville si peuplée! Elle est semblable à une veuve! Grande entre les nations, souveraine parmi les états, Elle est réduite à la servitude!

BETH Elle pleure durant la nuit, et ses joues sont couvertes de larmes; De tous ceux qui l’aimaient nul ne la console; Tous ses amis lui sont devenus infidèles, Ils sont devenus ses ennemis.

GHIMEL. Juda est en exil, victime de l’oppression et d’une grande servitude; Il habite au milieu des nations, Et il n’y trouve point de repos; Tous ses persécuteurs l’ont surpris dans l’angoisse.

DALETH. Les chemins de Sion sont dans le deuil, car on ne va plus aux fêtes; Toutes ses portes sont désertes, Ses sacrificateurs gémissent, Ses vierges sont affligées, et elle est remplie d’amertume.
HE. Ses oppresseurs triomphent, ses ennemis sont en paix; Car l’Eternel l’a humiliée, A cause de la multitude de ses péchés; Ses enfants ont marché captifs devant l’oppresseur.

Deuxième Leçon

VAU. Et egressus est a filia Sion omnis decor ejus; facti sunt principes ejus velut arietes non invenientes pascua, et abierunt absque fortitudine ante faciem subsequentis.ZAIN. Recordata est Jerusalem dierum afflictionis suae, et praevaricationis, omnium desiderabilium suorum, quae habuerat a diebus antiquis, cum caderet populus ejus in manu hostili, et non esset auxiliator: viderunt eam hostes, et deriserunt sabbata ejus.

HETH. Peccatum peccavit Jerusalem, propterea instabilis facta est; omnes qui glorificabant eam spreverunt illam, quia viderunt ignominiam ejus: ipsa autem gemens conversa est retrorsum.

TETH. Sordes ejus in pedibus ejus, nec recordata est finis sui; deposita est vehementer, non habens consolatorem. Vide, Domine, afflictionem meam, quoniam erectus est inimicus.

VAU. La fille de Sion a perdu toute sa gloire; Ses chefs sont comme des cerfs Qui ne trouvent point de pâture, Et qui fuient sans force devant celui qui les chasse.ZAIN. Aux jours de sa détresse et de sa misère, Jérusalem s’est souvenue De tous les biens dès longtemps son partage, Quand son peuple est tombé sans secours sous la main de l’oppresseur; Ses ennemis l’ont vue, et ils ont ri de sa chute.

HETH. Jérusalem a multiplié ses péchés, C’est pourquoi elle est un objet d’aversion; Tous ceux qui l’honoraient la méprisent, en voyant sa nudité; Elle-même soupire, et détourne la face.

TETH. La souillure était dans les pans de sa robe, et elle ne songeait pas à sa fin; Elle est tombée d’une manière étonnante, et nul ne la console. -Vois ma misère, ô Eternel! Quelle arrogance chez l’ennemi! –

Troisième leçon

JOD. Manum suam misit hostis ad omnia desiderabilia ejus, quia vidit gentes ingressas sanctuarium suum, de quibus praeceperas ne intrarent in ecclesiam tuam.CAPH. Omnis populus ejus gemens, et quaerens panem; dederunt pretiosa quaeque pro cibo ad refocillandam animam. Vide, Domine, et considera quoniam facta sum vilis!

LAMED. O vos omnes qui transitis per viam, attendite, et videte si est dolor sicut dolor meus! quoniam vindemiavit me, ut locutus est Dominus, in die irae furoris sui.

MEM. De excelso misit ignem in ossibus meis, et erudivit me: expandit rete pedibus meis, convertit me retrorsum; posuit me desolatam, tota die moerore confectam.

NUN. Vigilavit jugum iniquitatum mearum; in manu ejus convolutae sunt, et impositae collo meo. Infirmata est virtus mea: dedit me Dominus in manu de qua non potero surgere.

JOD L’oppresseur a étendu la main Sur tout ce qu’elle avait de précieux; Elle a vu pénétrer dans son sanctuaire les nations Auxquelles tu avais défendu d’entrer dans ton assemblée.CAPH. Tout son peuple soupire, il cherche du pain; Ils ont donné leurs choses précieuses pour de la nourriture, Afin de ranimer leur vie. -Vois, Eternel, regarde comme je suis avilie!

LAMED. Je m’adresse à vous, à vous tous qui passez ici! Regardez et voyez s’il est une douleur pareille à ma douleur, A celle dont j’ai été frappée! L’Eternel m’a affligée au jour de son ardente colère.

MEM. D’en haut il a lancé dans mes os un feu qui les dévore; Il a tendu un filet sous mes pieds, Il m’a fait tomber en arrière; Il m’a jetée dans la désolation, dans une langueur de tous les jours.

NUN. Sa main a lié le joug de mes iniquités; Elles se sont entrelacées, appliquées sur mon cou; Il a brisé ma force; Le Seigneur m’a livrée à des mains auxquelles je ne puis résister.

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